jeudi 15 mars 2018

Ne meurs pas sans me dire où tu vas chapitre 2

Chapitre 2



Le premier rituel du matin dit tout de la vie d'une personne, le mien était de fuguer. Le réveil m'arriva tôt, Thomas ronflait, il ne me verrait pas partir, comme les autres. J'emportais mes livres, car je n'étais pas sûr de revenir. La porte d'entrée se fermait par un simple loquet, accessible que de l'intérieur, mon évasion n'aurait donc rien de spectaculaire.
Le temps était encore à la neige, il y avait une chose que je n'aimais pas dans les sols de neige, c'est qu'ils imprimaient notre parcours comme une cartographie pour revenir à notre point de départ. Une chose m'amusait pourtant, c'était les traces étranges que ma jambe raidie laissait dans cette blancheur, comme des tirés à côté de points. La neige ne tarderait pas à retomber et à recouvrir mes pas, comme un effacement de soi.
Je déambulais, points et tirés, jusqu'à un banc, face à un mur. Assis là, j'observais longuement chacune des briques qui me faisaient face. Perdu entre les joints friables, je ne l'avais pas vu arriver, ni comment elle l'était. Elle marchait sur le toit du mur, une fine robe blanche et la peau bleuie par le froid, souriante, inattendue.

_ J'aime le vent.
Sa voix était fine, délicate, fragile mais emplie d'une conviction imperturbable.
_ Le vent c'est la terre qui tourne, quand je sens le vent sur mon visage, c'est comme si je sortais la tête de la terre.
Elle s'assit dos à moi, jambes dans l'autre vide, de l'autre côté, dans cet espace rendu inconnu par le mur.
_ Monte.
Je regardais à droite, à gauche, puis je revins sur elle, rien pour me permettre de monter. J'avançais, jusqu’au moment où le mur se trouva à quelques centimètres de mon visage.
_ Grimpe.
Les briques offraient peu de prises et avec ma jambes je glissais à plusieurs reprises. Cela la faisait rire, et j'aimais cela. Je ne me décourageais pas, elle ne s'impatientait pas. Je ne sais pas combien de temps il me fallut pour y arriver, une demi-heure, une heure...
Assis à côté d'elle, j'observais ce que me dissimulait jusque là le mur, un cimetière avec son lot de tombes, de fleurs posées dessus et de personnes déambulantes têtes baissées, comme pour occulter les autres tombes qui ne les concernaient pas.
_ Où va-t-on après la mort ?
Je ne savais pas quoi lui répondre, je ne m'étais jamais posé la question, et je ne voyais pas vraiment l'intérêt de le faire.
_ Tu ne sais pas ?
Je fis non de la tête
_ Tu sais quoi toi alors ?
_ Rien, et cette réponse me plut et me plongea dans un contentement tangible. Les tombes me parurent plus joyeuses, les fleurs encore plus fleuries, et les promeneurs de cimetière heureux d'être là. Elle se contenta de cette réponse et resta silencieuse un long moment avant de rompre ce silence si caractéristique des cimetières.
_ Les portes du ciel se sont ouvertes pour moi, les portes de la terre se sont ouvertes pour moi, les verrous de Geb se sont ouverts pour moi, la voûte céleste s'est ouverte pour moi. J'ai à nouveau l'usage de mon coeur, l'usage de mon muscle cardiaque, l'usage de mes bras, l'usage de mes jambes, l'usage de ma bouche, l'usage de mes membres, je peux disposer des offrandes funéraires, disposer de l'eau, de la brise, du flot, du fleuve. Je me soulève sur mon côté gauche et je me mets sur mon côté droit; je me soulève sur mon côté droit et je me mets sur mon côté gauche; Je m'assieds, je me mets debout, je secoue ma poussière. Ma langue et ma bouche sont des guides habiles. Celui qui connaît ce livre, il peut sortir au jour et se promener sur terre parmi les vivants, et il ne peut pas périr, jamais. Cela s'est révélé efficace des millions de fois.
Je la regardais perplexes, mais incroyablement impressionné par sa façon de parler. Je me sentais idiot, sans savoir quoi dire, mais ce monologue ne semblait pas la déranger et elle poursuivit.
_ Les Égyptiens étaient persuadés qu'après la mort, leurs défunts voyageaient jusqu'au monde des heureux, et ils leurs laissaient dans leur tombeau une carte détaillée, leur donnant le chemin à suivre à travers les lacs, les montages, les déserts, les formules magiques pour passer les portes gardées par des armées. De leur vivant ils apprenaient le livre des morts, dont je viens de te citer un passage.
Elle me sourit et s'empressa de parler, comme pour me dire quelque chose qu'elle n'aurait plus le courage de dire plus tard.
_ Alors que ma mère se mourait, je lui ai dit « Ne meurs pas sans me dire où tu vas ». Elle ne me l'a jamais dit. Mais moi je veux savoir, tu comprends ? Tu vas m'aider ?
_ Oui, répondis-je sans savoir pourquoi.
_ Comment t'appelles-tu ?
_ Joseph, mais appelle moi comme tu veux, je n'aime pas ce prénom.
_ Tant mieux, car je ne l'aime pas non plus, je t'en trouverais un autre.
_ Et toi ?
_ Adèle.
Elle se leva et fit une ronde, qui fît voler sa petite robe, découvrant ses sous-vêtements. Elle me fît un sourire malicieux avant de se laisser glisser le long du mur et de partir en courant.
_ A bientôt
_ Quand ?
_ Tu le verras bien.
Elle disparut à l'angle de la rue.

*

Je restais assis sur le bord du mur à observer les promeneurs de cimetière. Cette rencontre avec Adèle m'avait intimement ébranlé, et je ne savais pas encore pourquoi. La neige ne consentait pas à tomber, le ciel en était lourd et menaçant. Le journée s'était consumée sans me prévenir et la nuit imposait son long manteau ténébreux. Après m'être laissé glisser, non sans écorchures, le long du mur, mes pas me conduisirent vers le pensionnat. Le corps s'exprime et dirige quand l'esprit est préoccupé. La faim et le froid entraînèrent mon corps vers la lourde porte de bois, ma main frappa sans que je ne le décide, la trappe s'ouvrit. On me conduisit de nouveau auprès du père Jean. Il m'accueillit de son sourire symétrique.
_ Je suis heureux que vous soyez revenu Joseph, asseyez-vous, dit-il en prenant place derrière son bureau.
Je restais debout conscient de créer ainsi une asymétrie entre lui et moi.
_ Thomas m'a informé pour les fourmis dans votre lit, je comprend votre colère et votre départ matinal. Les responsables de cette mauvaise plaisanterie seront...
_ Où va-t-on lorsque nous mourons ?
S'il fût surpris par ma question il n'en montra rien.
_ Je peux te répondre qu'avec mes convictions, qui sont nourries par la foi qui m'anime. Mais ma vérité est mienne, je ne peux parler au nom de tous. Ce qui est indubitable c'est que nul ne peut répondre à cette question avec la véracité d'une certitude démontrable et incontestable. Je crois, car en ce domaine il s'agit bien de croire et d'avoir foi, en l'immortalité de notre âme. Je crois que la mort n'est pas une finitude mais un commencement, la véritable naissance de notre être spirituel. Je crois en un lieu où les âmes se retrouvent et deviennent dès lors des esprits angéliques, lavés de tout pêché humain. Dans un état de conscience infinie qui fait d'eux un tout et ce tout forme ce que je pense être le paradis. Soit juste avec les autres, dans chaque chose que tu fais et avec toi même et à l'heure venue tu connaîtras cette béatitude.
_ Et si je ne suis pas juste ?
_ Pourquoi ne le serais-tu pas Joseph ?
_ Pourquoi le serais-je ?
Il ne me donna aucune raison de l'être, j'en avais pour ma part des dizaines à lui soumettre de ne pas l'être. J'aurais aimé qu'il me donna ne serait-ce qu'une seule raison, mais il resta dans son silence et moi dans le mien. Il me souriait, comme si ma question n’appelait pas de réponse. Avait-on été juste avec moi ? Je fis ce qui me parut juste de faire, je détruisis la symétrie de son bureau et sortis.
C'est encore animé par cette colère que je regagnais la chambre de Thomas. Qu'allais-je pouvoir dire à Adèle ? Je me sentais incapable de lui retranscrire les propos du père Jean. Ma rage m'emportait, à une question simple une réponse simple, cela n'avait rien de compliqué. Thomas était là, je le plaquais contre le mur et lui criais :
_ Où va-t-on quand nous mourons ?
_ Tu es vraiment bizarre toi, où veux-tu qu'on te mettes quand tu claques, si ce n'est dans la fosse commune ? Vu d'où on vient c'est la fosse des pauvres qui nous attend.
Sa réponse me poussa à rire, il n'avait rien compris à ma question, et le voir ainsi encore plus dérouté que moi me soulageait et la sincère naïveté de sa réponse m'amena à le respecter. Je le lâchais.
Je le compris par la suite, Thomas était souvent surprenant, et derrière ce gosse un peu gras, souriant et gentil comme un innocent, il y avait quelqu'un de complexe et sombre. Et bien plus fatigué que ne laissait croire son énergie débordante telle un papillon qui aurait trop tourné autour de la lumière mais qui poursuit malgré tout. Il compléta sa réponse ainsi :
_ Tu payes ta dette à Dieu... Lorsque tu meurs tu lui payes ta dette. A partir de l'instant où tu nais tu acceptes de fait cette dette et elle est indubitable,il reprit son sourire innocent. Et toi ta dette est lourde, j'crois bien que c'est l'enfer qui t'attends, aller viens manger, quand tu seras dans les flammes de l'enfer tout y sera trop cuit.
Il sortit en riant.
Je le rattrapai, comme je le pouvais.
_ Elle a quoi ta jambe ?
_ Elle m'empêche d'oublier.
_ Tout le monde oublie, un jour ou l'autre.
Nous marchions en silence lorsqu'un garçon nous dépassa, sans le moindre bruit. Quelque chose m'intriguait dans sa démarche, mesuré, calculé, chacun de ses gestes semblaient réfléchis et maîtrisés à la perfection.
_ C'est Pierre, mais ils l’appellent tous Pierrot le fou.
_ Il l'est ?
_ Une fois j'ai vu sa tante qui venait le voir, elle m'a expliqué que Pierre était un enfant différent, qu'il était très sensible et qu'il avait développé une conscience extrême de son corps. Il sent et visualise son cœur battre, ses poumons se gonflaient, sa vessie se remplir goutte après goutte, ses poils pousser, ses muscles bouger, les aliments se désagréger dans son estomac et même son cerveau. Il paraît que c'est ce qu'il y a de pire pour lui que de sentir son cerveau...
_ … Il sent sa merde lui poussait au cul, pas vrai Pierrot ?
C'est un garçon plus âgé que nous qui venait de parler, il nous suivait et s'apprêtait à nous dépasser en se délectant de sa plaisanterie. Je tendis le pied, il s'écrasa au sol, ce qui lui coupa son rire moqueur. Il se releva et se jeta sur moi. La rixe ne dura pas, d'évidence il n'y connaissait rien, et lorsque je lui retournais les doigts sur le dos de la main dans un craquement de bois trop vert il hurla et abandonna. A cet instant ma réputation de violent était scellée, je ne devais plus jamais avoir de fourmis ou autres insectes dans mon lit, un regret.
Le repas se résuma à du pain et une soupe avec des légumes entiers flottant dedans. Je regagnais rapidement la chambre de Thomas. Une fois seul, je remettais de l'ordre dans ma journée, je pensais à Adèle, aux paroles du père Jean et à ceux de Thomas et je me demandais si ce n'était pas Dieu qui m'était en dette depuis ma naissance, et pour finir je m'endormais dans un vertige en sentant et en visualisant mon cœur battre.

                                                                                                                        Voyageur de mots







3 commentaires:

  1. Vivement le chapitre 3 !!

    RépondreSupprimer
  2. ça donne envie de lire la suite !!
    Lilou

    RépondreSupprimer
  3. Sébastien le cousin et non pas Léon le bourdon.6 avril 2018 à 22:28

    C'est vraiment bien écrit, tu es écrivain. Pas de doute. À suivre...

    RépondreSupprimer